La Méditerranée des poètes
Elizabeth Grech et Philippe Parizot
« Les Poètes de la Méditerranée » est le titre d’une anthologie de poésies qui vient de paraître chez Gallimard, fruit d’une collaboration avec le Conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée et Marseille Provence 2013.
Dans cette froide grisaille de décembre, découvrir chez un libraire cette anthologie des Poètes de la Méditerranée publiée chez Gallimard, en partenariat avec le Conseil culturel de l’Union pour la Méditerranée et Marseille Provence 2013, est un réel plaisir, une plongée dans un paysage de couleurs vives, de lumières et de contrastes qui commence dès la première de couverture avec la belle image du tableau de Nicolas de Staël, La plage à Agrigente…
Cette heureuse initiative doit être saluée pour plusieurs raisons. Ce projet est d’abord le fruit d’un travail monumental et à plusieurs mains puisque cette anthologie de poche réussit le tour de force de réunir dans un même volume les œuvres de plus de 100 poètes contemporains venant de toutes les rives du pourtour méditerranéen. Il s’agit en outre d’une édition multilingue qui nous invite à découvrir des écritures, des langues et des alphabets qui ne nous sont pas forcément familiers mais aussi, au-delà des stéréotypes, à réfléchir à la complexité du monde méditerranéen. Ce voyage sensoriel, souvent sensuel, dont la poésie est le véhicule, nous permet de rencontrer des poètes, connus ou moins connus, de différentes générations et nationalités, qui composent une Méditerranée faite de variations, de voix, de rythmes, de cris, de silences. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant, comme le souligne l’écrivaine, poète et réalisatrice Eglal Errera dans son introduction, que cette anthologie ait été construite à la manière d’un parcours, d’une « longue route de sable » pourrait-on ajouter avec Pier Paolo Pasolini, qui va de la Grèce jusqu’à la Macédoine.
Une anthologie aussi ambitieuse suscitera sans doute quelques regrets : celle des choix nécessaires effectués parfois au détriment d’illustres Anciens ou de poètes de la nouvelle génération – seuls deux poètes sur cent un sont nés après 1970. Nous pensons par exemple à Malte qui connait aujourd’hui un véritable renouveau littéraire que ne reflètent qu’en partie les auteurs sélectionnés. Toutefois, que le lecteur se rassure. Car il y a dans cette esquisse assumée beaucoup plus de poètes qu’il n’y paraît à première vue : d’abord parce que chaque texte est, comme disait Roland Barthes, un intertexte nourri de tout ce qui l’a précédé ; ensuite parce que la notice biographique nous révèle que la plupart des auteurs sont aussi et en même temps des traducteurs, autrement dit des « passeurs ». Et si, avec d’autres, le grec Yannis Ritsos, pour qui la traduction était un « élargissement de l’horizon créateur », n’y figure pas, sa voix passe quand même en langue étrangère à travers la poésie de la serbe Tanja Kragujevic. De cette façon, chaque poème concentre-t-il en son sein une multiplicité d’échos venus d’ailleurs, que cet ailleurs, passé ou présent, soit ou non méditerranéen. Contrairement à ce que pourrait faire croire le classement des auteurs par pays, ces poètes de cette anthologie ne sont donc pas seulement les poètes des Etats du pourtour méditerranéen.
Pour cette raison, s’il commet l’imprudence de s’écarter de la voie droite du tracé des frontières, fussent-elles de papier, le lecteur vagabond pourra aussi trouver quelque plaisir à zigzaguer, au gré des pages, dans cette Méditerranée aux mille et unes thématiques qui émerge à travers ce livre. Puisse cette Méditerranée des Poètes ouvrir le chemin à beaucoup d’autres.