22 janvier 2011

Facebook, Twitter et les blogs des jeunes tunisiens viennent de jouer un rôle incontestable dans la révolution tunisienne. Mais comment évaluer l’impact réel d’internet, et, par extension, les réseaux sociaux pourraient-ils bientôt devenir une arme des mouvements révolutionnaires dans des pays dictatoriaux, y compris dans d’autres Etats du Monde arabe (et pourquoi pas dans des démocraties)?
Certes, ces communications tous azimuts ont été relayées par la maturité politique des Tunisiens en général et des jeunes en particulier.(1) Mais comment est-ce que cela a été possible dans un pays rongé, sclérosé, étouffé pendant 23 ans par la répression, la peur et la corruption?

Au moment où les observateurs commencent à s’intéresser à la guerre technologique, le scandale WikiLeaks éclate fin décembre 2010 et les tunisiens ont découvert eux aussi les commentaires acerbes des diplomates américains décrivant leur pays corrompu, partagé entre deux clans.(2) Le président Ben Ali, qui avait compris le pouvoir des nouveaux médias, menait d’ailleurs une guerre de plus en plus ouverte contre Internet. Des sites de partage de vidéos et photos comme YouTube, Viméo, Flickr et Dailymotion ont été inaccessibles. Les Tunisiens étaient si familiers avec la censure qu’ils l’appelaient ironiquement «Ammar 404» en référence à «l’erreur 404» qui apparaissait dès qu’ils voulaient accéder à un site bloqué.

Début janvier il y a eu une avalanche d’évènements. Des bloggeurs tunisiens ont été arrêtés. Les Anonymous , un collectif de pirates informatiques, se sont attaqués aux sites institutionnels tunisiens en signe de soutien. Dans ce contexte, la mort du jeune commerçant tunisien immolé par le feu à Sidi Bouzid est arrivée comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les jeunes sont descendus crier leur ras-le-bol dans la rue. A défaut d’être sur place, d’autres ont écrit leur désespoir sur le mur virtuel de Facebook.

Réseaux sociaux, arme contre la censure? 
Les échanges en ligne grâce aux réseaux sociaux ont alors commencé à alimenter les manifestations accélérant ainsi le processus révolutionnaire. Et si, selon Reporteurs Sans Frontières , plus de cent pages Facebook relatives à la récente contestation ont été bloquées, la circulation de vidéos et des informations ont pu circuler. Car sur Facebook, il suffit qu’un «ami» poste un film pour que ses amis et amis d’amis puissent y avoir accès. Une fois lancé, ce tourbillon a du mal à être arrêté puisque tout le monde a accès à l’information publiée qui devient incontrôlable. Avec plus de 3.6 millions d’internautes en Tunisie(3), le président Ben Ali et ses services ont donc été rapidement dépassés par les évènements et pris de vitesse. Internet a non seulement contribué à mobiliser ces jeunes plus rapidement mais aussi à contourner la censure par la diffusion d’une l’information parallèle, non officielle, et très largement diffusée, qui ne pouvait circuler autrement.

Réseaux sociaux à l’origine d’une solidarité virtuelle? 
En outre, ces espaces d’échanges ont immédiatement suscité des débats parmi les cyber citoyens. De nombreuses pages sont nées sur Facebook pour réunir non seulement des Tunisiens de Tunisie et des Tunisiens issus de la diaspora mais aussi des jeunes Maghrébins et d’autres venant des quatre coins du monde. Tunisia Today, Printemps du Jasmin tunisien, Liberté Tunisie, Tunisiens de France et d’ailleurs, pour la liberté en Tunisie, A nos héros tunisiens tombés pour notre liberté… sont quelques exemples parmi d’autres.

Réseaux sociaux ou l’information en direct 
De même, avec les mots clés les plus utilisés Tunisia ou Sidi Bouzid, Twitter est devenu la principale source d’information. A l’exception de certains médias écrits ou audiovisuels comme Al Jazeera Le Monde The Guardian qui se sont servis des témoignages postés sur les réseaux sociaux et la presse radio locale, les médias traditionnels ont été lents à réagir. Ils ont été dépassés par la vitesse des événements. Alors que sur Twitter , on a pu suivre tout en direct grâce aux liens vers des photos, vidéos, articles dans toutes les langues et aussi des cartes qui relayaient les informations sur les zones de tirs et de pillage.

L’émergence de ces nouveaux moyens d’information en temps réel remet en question le fonctionnement des médias traditionnels qui, pour des raisons de sécurité, ont de plus en plus de difficultés à avoir des correspondants sur place ou d’envoyer des reporteurs en mission dans des situations de conflits.

Réseaux sociaux, outils militants? 
Nous nous souvenons tous des apéros géants lancés en France via Facebook et qui ont posé de sérieuses difficultés aux forces de police.(4) Dans le cadre de la révolte tunisienne, Twitter etFacebook ont encore une fois servi à l’organisation des manifestations. Ce sont des outils de communication gratuits, rapides, interactifs, simples et efficaces qui ciblent le plus grand nombre et en majorité, les jeunes générations.

Réseaux sociaux, espaces de création artistique 
Comme acte de soutien, des milliers de facebookers ont remplacé leur photo par des drapeaux tunisiens ensanglantés ou criblés de balles pour en citer seulement quelques-uns. Une fois la nouvelle du départ de Ben Ali, d’autres logos plus « victorieux » sont apparus. Cela démontre encore une fois que les réseaux sociaux sont aussi de véritables espaces d’expression, de création et d’échanges artistiques.

Une étude reste à conduire pour mesurer les implications et rôle réel des réseaux sociaux dans la chute du pouvoir du Président Ben Ali. Si ces nouveaux médias ont bien joué un rôle majeur, ce processus révolutionnaire est l’œuvre du peuple tunisien. Son moteur a été la jeunesse qui compose la majorité de la population.(5) Dans ce contexte,Facebook et Twitter ont sans doute été des outils utiles mais de la à dire que la révolution s’est faite grâce à eux…ne serait-ce oublier les martyrs, le combat des syndicalistes, des travailleurs durant toutes ces années, le courage des hommes et des femmes qui ont subi le pouvoir de Ben Ali, les exilés et les prisonniers politiques, les journalistes et intellectuels durant ces longues années?

Les blogs incontournables: 
– Nawaat.org http://nawaat.org ), blog collectif indépendant animé par des tunisiens. C’est un espace d’expression, d’échange, de diffusion d’information pour des citoyens engagés.

– A Tunisian girl , blog d’une jeune tunisienne militante qui poste régulièrement des photos et des commentaires sur l’actualité dans son pays:
http://atunisiangirl.blogspot.com/ 

– Anis Ibn Baddouda , blog d’un jeune tunisien de 31 ans qui s’exprime sur l’actualité mondiale et plus particulièrement en Tunisie. Les catégories…censure, liberté d’expression.
http://anisb.wordpress.com/ 

– Takriz , magazine tunisien indépendant militant contre la censure.
www.takriz.com 

– Carpediem Selim , blog d’un jeune tunisien « aux pensées censurées ».
http://carpediem-selim.blogspot.com/ 

– Stranger Paris , le blog de Malek Khadraoui, jeune militant tunisien.
http://stranger-paris.blogspot.com/ 

– Debat Tunisie , blog de caricature dénonçant le blocage démocratique d’un tunisien qui se fait appeler Z.
http://debatunisie.canalblog.com/ 

– Le blog de Bassam Bounenni , jeune journaliste tunisien.
http://bassambounenni.blog.fr/ 

– ReadWriteWeb , blog basé en Nouvelle Zélande qui couvre l’actualité avec des notes d’analyse. Son contenu met l’accent sur les nouvelles technologies et leur impact sur les média et la société. Parmi les blogs les plus influents.
http://fr.readwriteweb.com/ 

– Mona Eltahawy , blog d’une jeune journaliste égyptienne remarquable installée à New York,
www.monaeltahawy.com/blog/