20 décembre 2010

Selon le philosophe et historien français Georges Didi Huberman, la position de l’exilé prédispose à porter un regard critique sur la guerre car l’exil implique une prise de distance, un certain détachement par rapport aux événements. Les écrivains palestiniens en exil écrivent aussi dans d’autres langues, en Anglais par exemple. Ce qui induit, là encore, une certaine distance.

Tahseen Yaqeen, éditeur et critique littéraire, soutient, de son côté, que dans les années 90, une nouvelle génération d’auteurs palestiniens a émergé, tentant de se frayer leur propre voie dans les lettres palestiniennes. Une voie individuelle et créative capable de transmettre l’authenticité de leurs émotions, de leurs pensées et de leur manière de voir le monde, tout en étant encore aux prises avec la rébellion, l’imitation, l’expérimentation.

Ecrivaine au talent confirmé, Adania Shibli est née en Palestine en 1974. Elle vit aujourd’hui entre Ramallah, Jérusalem et Londres. Cette jeune femme au regard lumineux a remporté deux fois le Prix «Jeune Ecrivain» remis par la Fondation A.M Qattan (1) pour ses romans Masaas (Reflets sur un mur blanc, Actes Sud, 2004) et Kullluna Ba’ed Bethat al Miqdar ‘an al Hub (We are all Equally Far from Love, al-Adab, Liban 2004). Ses nouvelles et essais ont été publiés dans divers journaux et magazines littéraires. Sollicitée, elle a accepté de s’exprimer pour nous sur la nouvelle génération des écrivains palestiniens.

Comment décririez-vous la littérature palestinienne contemporaine? 
En lisant la littérature arabe contemporaine, je remarque un traitement et une représentation particuliers de l’espace et du mouvement des personnages, du manque d’espace. C’est suffocant. A partir de la lecture de nombreux textes écrits par des écrivains palestiniens contemporains, je dirais qu’il s’agit d’une littérature de l’étouffement, d’un dernier souffle interminable.

Vous sentez-vous représentative de la nouvelle génération d’écrivains palestiniens? 
Non. En fait, je peux à peine me représenter moi-même et très souvent je n’arrive pas à le faire.
Lors d’une conversation avec le poète Mourid Barghouti, on a soulevé la question «nouvelle génération d’écrivains palestiniens» et Mourid était furieux d’entendre cet appellatif.
Sa colère témoignait l’usage répété de cette dénomination sans qu’elle ait une vraie signification. En effet, comme le soutient Mourid, quelle serait la ligne de séparation entre la nouvelle et l’ancienne génération et combien de temps est-ce qu’une génération reste-t-elle ancienne ?
Néanmoins, je crois qu’en Palestine et pour les Palestiniens, des nouvelles conditions de vie émergent constamment. Ce qui explique le changement de contenu dans les styles littéraires des écrivains palestiniens. Les œuvres de Darwich en sont l’exemple le plus marquant. On peut noter une grande évolution dans son style quand on lit ses poèmes et ses textes des années 70 et 80 par rapport à ceux de la fin des années 90 jusqu’à sa mort, il y a deux ans. Si l’on suit les critères d’une catégorisation irréfléchie d’une nouvelle génération d’écrivains palestiniens versus une ancienne, on pourrait alors sans doute classer les dernières productions de Darwich dans celles de la «nouvelle génération.»

La littérature palestinienne a été d’une certaine manière conditionnée à devenir un instrument de résistance. Pensez-vous que cela a entravé l’émergence d’une littérature plus «créative»? 
A moins que les lecteurs l’aient fait sans consulter les écrivains, je ne pense absolument pas que la littérature palestinienne a été conditionnée à devenir un instrument de résistance, comme vous le suggérez. Les écrivains palestiniens, comme n’importe quels autres écrivains, observe la vie, ils ont le droit d’observer la vie en Palestine et les éléments qui la caractérisent. Qu’ils soient créatifs ou pas, cela dépend de leur sincérité et de leur franchise dans l’acte d’observation. Si les lecteurs veulent utiliser les textes comme instruments de résistance et de militantisme, cela me réjouit bien davantage que les armes ou la propagande des gouvernements.

Voyez-vous une différence entre les écrivains palestiniens écrivant à partir de la Palestine et ceux qui sont exilés? 
Pas vraiment, notamment parce que je n’ai pas cherché une telle différence. De plus, je ne pense pas que le terme «exil» soit très approprié pour décrire la vie des écrivains palestiniens qui vivent ailleurs. Beaucoup d’entre eux vivent entre la Palestine et ailleurs. Ils se rendent régulièrement en Palestine, ou, comme moi, ils restent là-bas pour de longues périodes. L’«exil» impliquerait une grande rupture entre la Palestine et cet ailleurs alors qu’en réalité, qu’on soit écrivain ou pas, on garde une présence constante dans les deux endroits, que se soit par le travail, ou en s’y rendant, ou tout simplement avec une connexion virtuelle, comme des personnes du même étage d’un bureau pourraient communiquer l’un avec l’autre. Ce que j’entends, c’est qu’il est difficile de parler d’exil dans le sens de sa signification avant l’ère actuelle de l’information ou de tracer une ligne claire ou une dichotomie entre le fait d’être chez soi ou en exil.

Le poète engagé Mahmoud Darwich est une figure littéraire sacrée, une figure de la résistance. Ecrivez-vous dans le sillon de son travail? 
C’est plutôt honteux de le dire mais je ne peux pas dire que je connais bien les œuvres de Darwich. Je pourrais davantage parler à propos de ce que signifie être un écrivain dans son sillage en tant que personne. Darwich était un écrivain très généreux envers des nombreux jeunes écrivains palestiniens comme moi par exemple. Et cela, sans que l’on doive être son admirateur ou son disciple. Il a fait partie des premiers à me pousser sur la voie de l’écriture. Souvent il plaisantait en disant : «J’ai lu tes œuvres et tu n’as pas lu les miennes», en faisant allusion à mes contributions au magazine al-Karmel qu’il a créé et dont il était rédacteur en chef.
Peut-être que quelque part, je m’abstiens encore de lire ses œuvres jusqu’à aujourd’hui, tout simplement pour garder en moi intacte sa plaisanterie.

Avez-vous actuellement un projet d’écriture? Pouvez-vous nous en anticiper les thèmes? 
Je suis en train de finaliser mon troisième roman et je commence à écrire une pièce de théâtre. C’est difficile de parler des thèmes abordés car, pour moi, ils sont confinés au texte jusqu’à ce qu’il soit terminé.

http://www.babelmed.net/letteratura/251-palestine/6238-litt-rature-palestinienne-entretien-avec-adania-shibli.html