Parmi les centaines d’espèces d’oiseaux résidents ou de passage à Malte figurent plusieurs types de mouettes. A distance, l’observateur perçoit leur parenté de couleurs, de comportements, leur façon commune de glisser sous le vent. Vues de près, elles se distinguent par les modulations de leur chant, leur morphologie, la tonalité de leur plumage.

La génération d’écrivains à laquelle appartient Adrian Grima ne constitue pas, elle non plus, un ensemble homogène. Au mieux une volée de gruppetti dépareillés, ces festons qui tissent autour des notes un écheveau mélodique. Tiraillés entre plusieurs pays, plusieurs langues, plusieurs cultures, leur existence vagabonde dessine des flux en pointillés. Leur production, souvent publiée à compte d’auteur, s’éploie dans la poésie directe, les nouvelles, les pièces de théâtre. Géographiquement dispersés, certains ne se sont jamais rencontrés. Mais tous se polarisent autour du maltais – cette langue « de la cuisine » longtemps cantonnée à l’oralité – dont ils explorent les possibilités, à la recherche de sonorités étrangères, inconnues.

De ce point de vue, comme si le renouveau de la langue maltaise venait autant du dedans que du dehors, il n’est pas sans intérêt de rappeler que l’un des pionniers du mouvement qui a abouti à la reconnaissance institutionnelle du maltais, en 1934, soit un maltais de Gozo exilé en Algérie, Laurent Ropa, naturalisé français en 1913, et traducteur des poètes maltais dès les années 1930 dans la collection « Les Cahiers de Barbarie » de la revue Mirages, aux côtés d’autres « passeurs » tels qu’Armand Guibert, Gabriel Audisio, Jean Amrouche, Valéry Larbaud, Jean Cayrol, Aldo Capasso, ou encore O. V. de Milosz.

Au sein de cette polyphonie en mode mineur, la voix d’Adrian Grima, qui trace son sillon à mezzo voce, ne s’attarde pas sur les contrastes bruyants, ostentatoires, si directement perceptibles en Méditerranée. Elle s’attache au contraire à la densité des silences, à l’empreinte laissée par un corps, au carmin d’un géranium, à un rai lumineux glissant sur une chevelure, au jaillissement poétique, à la fragilité de l’écriture. Infimes détails, faibles lueurs, certes, mais où se manifeste toute l’intensité de la vie.

Sa poésie, composée autant pour être partagée dans les cafés, les ruelles, les boites de jazz que pour être dégustée en solitaire, incite à une prise de position. Elle offre sa voix aux enfants, aux femmes, aux vieillards, aux immigrés irréguliers, aux soldats mis à l’index, aux défenseurs de la nature, à des villes entières même, comme à ceux qui n’ont pas souvent la possibilité de prendre la parole. Il faut avoir vu Adrian dire ses textes en public pour prendre la mesure du changement d’état émotionnel et physique que peut produire la lecture d’un poème écrit pour des minorités.

Ce livre d’Adrian Grima, son premier traduit en français à partir du maltais, rassemble un choix de cinquante poésies agencées selon des graduations de tonalités. Les textes ont été écrits sur une toile de fond chronologique qui va de 1989 à 2011. Elle s’ouvre avec le sommet américano-soviétique de Malte constatant la fin de la guerre froide et se clôt avec l’approbation du divorce par les maltais, sept ans après leur entrée dans l’Union Européenne. C’est dire l’ampleur des mutations géopolitiques, économiques et sociales survenues à Malte au cours de la période de rédaction de ces poèmes.

Il n’est pas fréquent que le public français ait accès, dans sa langue, à une anthologie récente de poèmes écrits en maltais, cette langue « européenne » si proche de l’arabe. Puisse cette traduction d’Elizabeth Grech faire découvrir au lecteur francophone, à travers la poésie d’Adrian Grima, toute la créativité de la langue maltaise.

 

Philippe PARIZOT-CLERICO